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Le b.a.-ba de La La Land (La La Land Part. I)

  • La Chèvre
  • 4 avr. 2017
  • 8 min de lecture

Bienvenue sur le blog de cinéma La Chèvre. Voici l'analyse de la séquence d'ouverture de La La Land, film dans lequel on retrouve le duo de Whiplash : Damien Chazelle et Justin Hurwitz. Je vais parler de figures de styles littéraires : le chiasme et la métalepse.


AVANT-PROPOS


La La Land serait-il une « magnifique histoire d’amour » (20 Minutes) ou une « ode à la vie et l’amour […] qui ne propage que bonheur, joie et bonne humeur » (Télé Loisirs) ? Je ne le pense pas : il est bien plus sombre que cela et – malgré le chic de la mise en scène – ce n’est sûrement pas la fresque naïve d’une romance à Hollywood. Comme dans Whiplash, le précédent film de Damien Chazelle et Justin Hurwitz, les protagonistes renoncent à leur amour pour réussir dans leur carrière artistique. Certains diront même que les amants ne se lient pas par passion mais par ambition (The Guardian).

Cependant, je ne crois pas non plus que La La Land s’intéresse beaucoup aux « tensions entre amour et ambition » (Libération), ni aux « amours impossibles » (Télérama) en général. Il me semble que son sujet est plutôt le rapport entre les artistes et leur art. Bien que la réussite de Sebastian et Mia s’accompagne de l’échec de leur couple, ils ne souffrent d’aucun regret, seulement de mélancolie. Damien Chazelle renverse le schéma habituel de l’accomplissement dans le couple amoureux pour poser une idée originale : paradoxalement, c’est avec la scène que les artistes entretiennent la relation la plus intime.



LE CHIASME


La scène d’ouverture de La La Land joue sur différents registres : d’un côté le réalisme et de l’autre le merveilleux, l’onirique. Ces variations donnent une importante clé de lecture pour le film. Elles dessinent un motif qui va se déployer au récit dans son ensemble : le chiasme. Cette figure de style consiste à « inverser l'ordre des termes dans les parties symétriques de deux membres de phrase de manière à former un parallèle ou une antithèse » (Morier, 1961). Autrement dit, cela correspond à une structure de type A-B-B-A, ce qui est plus simple pour comprendre comment cette figure de style littéraire est transposée dans le langage cinématographique[1].



LE BLOC A



Le premier plan (1) – qui est quasiment un plan séquence – commence par un fondu du logo Cinemascope sur un soleil éblouissant, dans un ciel bleu dégagé (1a). Il est accompagné d’une musique claironnante. Celle-ci s’éteint avec le bruit d’un autoradio changeant de chaîne. Le son est remplacé par une émission météo, dévoilant ainsi le bruit des klaxons, en off, qui était couvert jusqu'à présent par la musique. Ce passage de la musique à une ambiance sonore réaliste annonce le mouvement de caméra descendant au niveau de la route, de (1a) à (1b).

Il y a ainsi une double amorce. D’abord, ce « photogramme » (la sous-unité du plan) de ciel ne saurait constituer à elle seule un élément merveilleux, mais elle permet – par contraste – d’insister sur la descente du ciel vers la terre, qui est à la fois littérale et symbolique. Ensuite, elle constitue plus largement une amorce du mouvement lui-même, qui est signifiant dans cette séquence.


La caméra passe le long des voitures (1b) avec un mouvement très sage, contrôlé, classique : un travelling latéral. On est en plein réalisme, presque sociologique. A chaque personne correspond un modèle de voiture et un type de musique ou d’émission radio (ces sons sont in, comme les klaxons désormais). Par exemple, une femme adulte dans une voiture grise plutôt sobre écoute de la musique classique, un jeune homme en voiture de sport jaune écoute du hip-hop, etc.



LE BLOC B


La caméra rompt ce travelling en franchissant la barrière de l’autoroute (1c) pour changer de registre. Au fur et à mesure qu’elle s’approche de la voiture verte, la musique se fait plus audible jusqu’à couvrir tous les sons ambiants. La femme qui chante sort de la voiture, bientôt rejointe par d’autres personnes. La caméra recule et s’éloigne alors de la voiture (1d), source supposée de la musique. Désormais, la musique n’est plus intra-diégétique, mais extra-diégétique. On quitte clairement le réalisme pour entrer dans les conventions narratives propres à la comédie musicale.




Les mouvements de caméra deviennent plus libres et fluides, s’accordant aux mouvements de danse, à l’image du pivotement (1e) vers le contre-champ. La caméra circule entre et par-dessus les voitures, la valeur des plans varie elle aussi – du plan large (1f) au gros plan (1h). Elle franchit la barrière qui contenait son travelling (1g).




On voit désormais une abondance de mouvements, de valeurs de plan, la chorégraphie animée. A cette richesse s’ajoute un mouvement de grue (un procédé onéreux) qui élève la caméra au-dessus de la route. Il n’y a plus de doute possible, on est passé dans un autre registre : celui du merveilleux, de l’onirique.



(La métalepse)



J’ouvre ici une parenthèse pour attirer votre attention sur la camionnette bleue (1j), qui est l’instrument d’une autre figure de style d’origine littéraire. Jusqu’à maintenant, la musique était à la fois intra-diégétique (plus précisément in) pour sa partie chantée, et extra-diégétique pour sa partie instrumentale (on se doute bien qu’il n’y a pas un orchestre hors-champ). Encore une fois, c’est tout à fait conventionnel dans une comédie musicale. Pourtant, l’un des danseurs soulève le rideau métallique de la camionnette, dévoilant ainsi des musiciens au moment où la chanson passe à la partie instrumentale (1k). La musique devient donc entièrement intra-diégétique et in.

Cette transgression narrative, qui brise la frontière entre la « réalité diégétique » et la « réalité filmophanique »[2], est une métalepse. En plus de l’effet comique (transporter à l’arrière de sa camionnette un groupe de musiciens n’est pas banal), cela implique une mise-en-abyme, mais celle-ci est évidente. La La Land – comme son nom l’indique – est une comédie musicale sur Hollywood. Ce n’est donc pas cela qui m’intéresse ici. Ce qui est remarquable, c’est que cette métalepse visible et amusante attire notre attention sur le jeu entre différents niveaux narratifs et prépare à une autre métalepse plus discrète mais très importante en fin de plan.


(Fin de la parenthèse)




Après cette petite parenthèse, on repart de plus belle dans le registre onirique. Après un nouveau pivotement de caméra (1l), l’effervescence de la mise-en-scène et la musique vont crescendo. La caméra poursuit un skate (1m) qui l’entraîne dans un mouvement plus fluide, l’ambitus de valeurs de plans est encore plus important – de (1n) à (1p) – et on ne sait plus où donner de la tête entre les lens flares[3] (1n), les acrobaties et les contre-plongées (1o)… Enfin, l’acmé est atteinte avec un mouvement de grue ascendant et la plongée finale (1p). La musique s’éteint dans un concert de klaxons (1q).



LE BLOC B'





L’image reste quelques instants en suspens tandis que les sons d’ambiance (les bruits de klaxons et le brouhaha) réapparaissent progressivement. En écho avec le début du plan (1a), la caméra a de nouveau un mouvement descendant, accentué par une plongée (1r)[4]. Les couleurs deviennent plus ternes (dans les tons rouges bordeaux, bleus et gris) et, surtout, on passe de la voiture de Sebastian à celle de Mia avec un travelling symétrique au premier (1b), de l’autre côté de la barrière d’autoroute, de (1s) à (1t).


Pourtant, certains éléments montrent que, malgré cette apparence de réalisme, on est toujours dans le rêve ou – du moins – dans l’illusion. Effectivement, c’est à ce moment-là qu’intervient la seconde métalepse (plus discrète). Mia, qui était au téléphone (1t), le pose pour ramasser son texte (1u) car elle s’est trompée dans les dialogues. On s'aperçoit alors qu’elle était en train de jouer la comédie. Ce n’est pas une métalepse narrative (qui transgresse la frontière entre le « monde fictionnel » et le « monde réel ») comme tout à l’heure, mais une métalepse fictionnelle (elle rompt la frontière entre deux niveaux du monde fictionnel). Dès lors, on comprend qu’on était dans l’illusion. Cet effet est d’autant plus puissant qu’il s’agit du premier plan du film : on s’attend donc à une présentation des personnages, et non pas à cette feinte.


La prise de conscience de cette « représentation » m’amène naturellement à regarder différemment le morceau de plan qui précède [à partir de (1r)]. Le volume des klaxons et des voix est faible car, en dépit du travelling latéral, on entend toujours l’autoradio de Sebastian (je rappelle qu’avec le même mouvement de caméra en début de plan, les musiques disparaissaient dès qu’elles passaient en hors-champ). De même, les paroles de Mia sont très nettes par rapport à la rumeur extérieure car la caméra s’est légèrement avancée en direction de sa voiture : à (1t) la fenêtre épouse le cadre de l’image, alors qu’on était à l’extérieur de la voiture de Sebastian (1s).


Finalement, il me semble que cette partie est toujours dans le registre du rêve car c’est l’illusion d’une présentation des personnages : je rappelle que le corps de Sebastian est morcelé (on ne voit d’abord qu’une partie de son visage dans le rétroviseur) et que Mia joue un rôle. Plus précisément, c’est la présentation de l’illusion dans laquelle vivent ces personnages, voire la présentation de ces personnages à travers leur rêve : la musique pour Sebastian et la comédie pour Mia.



LE BLOC A'



Le second (ou « vrai ») retour à la réalité est bien plus brusque : pour la première fois depuis le début du film, après plus de cinq minutes, on change de plan (2). Ce changement est provoqué par le coup de klaxon de Sebastian, net et puissant parmi les bruits ambiants. Le plan d’insert du rétroviseur passe rapidement du flou (2a) à la netteté (2b) : on passe clairement (si j’ose dire) du rêve euphémisé à la réalité.[5]




Cette réalité-là est très brutale, entre la violence des bruits (le klaxon), celle du rapport entre les personnages ou encore la frénésie des changements de plans qui contraste avec le quasi-plan séquence du début : quatre cuts (changements de plan) en six secondes. Autrement dit, on est dans un registre réaliste très « crû » - qui ne nous ménage pas, et qui est vulgaire (5).



CONCLUSION


Je reviens à la figure de style qui m'intéresse : le chiasme. On peut maintenant reconstituer les blocs de cette séquence d’ouverture : le A (le registre réaliste), le B (le registre onirique), le B’ (la fausse réalité ou le rêve euphémisé) et le A’ (le registre réaliste crû).


Vient maintenant la question essentielle : que signifie ce chiasme ? En théorie, il peut avoir deux fonctions opposées : soit renforcer une antithèse, soit établir un parallèle entre deux propositions. Je crois que cette séquence établit clairement un parallèle : en renvoyant littéralement dos-à-dos rêve et réalité, elle les mêle inextricablement. Ce rapprochement est accentué par les métalepses qui confondent différents niveaux de narration.

Cette scène contient en puissance le paradoxe qui traverse le film : la réalité se confond dans l’illusion car c’est sur scène, dans la représentation, qu’on accède à l’intimité la plus profonde des artistes. La chanson de cette scène, Another Day of Sun, annonce, elle aussi, tout cela et la rupture amoureuse à venir : “I left him […] I did what I had to do ['Cause I just knew a Technicolor world made out of music and machine. It called me to be on that screen and live inside each scene”.


Enfin, cette scène utilise déjà des jeux de miroirs. Les variations autour de ce motif vont approfondir, explorer ce paradoxe dans le reste du film ce qui fera l’objet d’un prochain article.




La Chèvre



[1] Selon la terminologie de Deleuze (Qu’est-ce que l’acte de création ?, 1987) comment « l’Idée en cinéma » de cette séquence résonne avec « l’Idée en roman » du chiasme.


[2] Dans son article publié en 1951 sous le titre La structure de l'univers filmique et le vocabulaire de la filmologie, Etienne Souriau établit une typologie de huit niveaux de réalité impliqués dans le phénomène cinématographique. Parmi ceux-là, la « réalité diégétique » correspond au monde fictionnel dans lequel l’histoire se déploie, et la « réalité filmophanique » (aussi appelée « écranique ») est tout ce qui se passe durant la projection du film.


[3] Le lens flare correspond aux halos qu’on peut voir sur le photogramme (1n). Ils apparaissent lorsqu’une source de forte intensité lumineuse est dans le champ.


[4] Je note que la première image de Sebastian est composée du reflet partiel de son visage dans le rétroviseur alors qu’il tourne le dos à la caméra. Cela montre à quel point le miroir est important dans ce film.


[5] Encore une fois, il n’est pas anodin que la « rencontre amoureuse » se fasse par ce jeu de miroirs.


 
 
 

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