Ode à 9 Doigts
- La Chèvre
- 31 janv. 2019
- 2 min de lecture
9 Doigts, un Film Noir de François-Jacques Ossang.
"Un film qui commence un Melville mais avec lequel il faut se laisser aller, ne pas se tenir au bastingage." (F.-J. Ossang au Mk2 Beaubourg, le 24 mars 2018).
a nuit, dans une gare, un homme du nom de Magloire prend la fuite. Sans bagages et sans avenir. Comme il tombe sur un paquet d'argent, les ennuis commencent. Une bande est à ses trousses, dont il finit otage, puis complice. C'est la bande de Kurtz. Suite à un braquage raté, ils embarquent tous à bord d'un cargo dont le tonnage suspect est aussi volatile que mortifère. Rien ne se passe comme prévu - le poison et la folie gagnent le bord. Les hommes de Kurtz s'avèrent être les jouets d'une machination conduite par le mystérieux "9 Doigts"...


9 doigts, 3 actes pour une tragédie de F.J. Ossang en noir et blanc. Et le poète punk qui se permet d’embrasser tous les clichés – SF, post-apo et Film Noir – pour leur donner le baiser de la mort. Il y a tant de poésie dans l’œil de sa caméra qu’on a l’impression de voir le monde pour la première fois. Ou la dernière, frappés de sidération face à la beauté plastique de ces images.
Car le monde que filme Ossang n’est déjà plus que l’ombre de lui-même. Le bateau dans lequel embarquent les neuf personnages de 9 doigts n’est pas seulement une cité sur l’eau. C’est aussi un cargo, une « usine flottante », un vaisseau fantôme, brillante allégorie de notre système capitaliste en train de sombrer. Les marchandises qu’il transporte dans ses cales sont comme la peste, un poison contagieux qui se répand de pays en zones franches. Dans ce conte philosophique, les hommes d’équipage avancent dans le noir et carburent à la mort. Ils errent sur les mers, médusés. « Ne rien comprendre, voilà la clé ». Les capitaines se succèdent à bord, et le navire change de cap comme de quart. Plus personne ne décide vraiment et l’embarcation ne va nulle part. Ou plutôt, elle tourne autour du Nowhereland – un continent de déchets à la dérive, produit par l’industrie humaine – comme une boussole autour du Pôle. Mais qu’est-ce qui les pousse dans cette folle course à l’abîme ? L’indécision, l’incon-séquence. « Plus rien n’a d’importance ». Le drame de 9 doigts est de la main de l’Homme.
Face à l’obscurantisme, F.J. Ossang oppose la Nature comme un négatif lumineux (incarnée dans ce sublime plan de forêt de nuit). Il se montre à la hauteur de l’esprit de son temps – Zeitgeist en allemand – en intégrant la dimension écologiste à sa critique virulente du capitalisme. « Filmer, c’est faire parler la Terre ». Pour ce faire, il rend à la Nature sa toute-puissance. Elle n’est pas naïvement bienveillante, au contraire. Elle déchaîne ses éléments comme autant de de chocs cinétiques. Et avec elle, le poète brise ses chaînes. Dans ce film, par le geste le plus fou, le plus politique et le plus cinématographique de cette année, il trace noir sur blanc ce testament : NO FUTURE.
La Chèvre.
コメント