Jeune Femme – Un cri du cœur qui sonne juste (Critique)
- Nathan Jactel
- 1 nov. 2017
- 3 min de lecture
(Critique initialement publiée par Close-Up, association de critique de cinéma de Sciences Po)

La Jeune Femme s’appelle Paula. En rentrant d’un long voyage au Mexique, elle bute contre des portes closes : son compagnon – un célèbre photographe dont elle a été la muse pendant 10 ans (c’est-à-dire qu’elle a vécu à ses crochets) – la vire de chez elle, les amis chez qui elle se réfugie aussi, et elle a perdu ses parents de vue. Commence alors une période d’errance dans Paris, pendant laquelle on va la suivre et elle va se trouver.
N’ayons pas peur de le dire : Jeune Femme est un chef d’œuvre de Léonor Serraille (je ne prends pas trop de risques en disant ça, puisque c’est son premier film). Ce premier essai est parfaitement mené : le film s’ouvre sur des cris rageurs de dos, et se clôt sur un souffle apaisé face caméra. Mais entre les deux, le voyage initiatique de Paula ne suit pas une trajectoire stable et linéaire. Au contraire, le récit enchaîne les changements de situations et les modulations autour d’elles. Les scènes se répondent, se répètent parfois pour mieux souligner l’évolution de Paula, et croissent en intensité jusqu’au climax final. Laetitia Dosch trouve ainsi un premier rôle à sa hauteur, tout en variations. Tout le film, qui repose essentiellement sur sa performance, est à son image. C’est un chaos organisé, qui fait passer des éléments écrits pour des imprévus ou des accidents (même si certains heureux accidents sont bien réels, notamment l’irruption du chat dans une scène de sexe).

Ce sont avant tout les dialogues qui font la qualité du film : ils sont drôles, percutants, et surtout elliptiques. Car plutôt que de se perdre dans des explications pseudo-psychologiques complètement artificielles des personnages, Léonore Serraille préfère couper certains dialogues (ce qui nous prive de contexte ou de conclusion), afin d’en préserver la justesse. C’est une manière remarquable de ne pas prendre le spectateur pour un idiot et de faire confiance à ses personnages qui possèdent leur propre profondeur que l’on a pas besoin de justifier par des preuves. Tout semble naturel. C’est aussi grâce aux soins que Léonor Serraille a apporté aux seconds rôles, qui créent des systèmes d’oppositions entre eux et avec Paula. Le montage aussi est elliptique ce qui a valu à Jeune femme d’être accusé – à tort – d’être un « film à sketchs ». En réalité, il donne un caractère échevelé au film, et un rythme enlevé tout comme sa B.O., signée Julie Roué, qui est excellente. Vous pouvez même apprécier cette musique indépendamment du film avec ce lien Soundcloud.
Enfin, Léonor Serraille filme Paris d’une manière originale, comme un paysage. Les plans se resserrent et font disparaître les bords de la piscine ou les quais de Seine, ce qui nous donne l’impression fugace d’être au bord de la mer, et nous offre un moment d’accalmie. De même lorsqu’elle s’assoie sur des marches au soleil : un plan en plongée totale fait étrangement apparaître des rochers sur une plage.

Jeune Femme est donc un film poétique et plein de panache, qui offre un parfait équilibre entre dits et non-dits, entre audace et finesse. C’est un cri du cœur qui sonne juste. Et qui révèle un nouveau talent de la FEMIS scénario à suivre : Léonor Serraille.
La Chèvre
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