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Le Cinéma des Lumières (La La Land part. II)

  • La Chèvre
  • 27 août 2017
  • 7 min de lecture

Voici le second article de La Chèvre, consacré une nouvelle fois à La La Land, le chef d'oeuvre de Damien Chazelle et Justin Hurwitz. Je vais parler ici des relations particulières de Mia et Seb à l'art, à travers l'analyse de trois séquences musicales construites de la même façon.

JEUX DE LUMIÈRES ET DE MIROIRS

Dans le précédent article « Le b.a.-ba de La La Land (Part. 1) », je m’étais arrêté sur les paroles de la chanson Another Day of Sun[1]. Cette musique, avec l’image du Soleil en ouverture du film, expose un motif dont j’aimerais parler dans cet article : la lumière.

Il va de pair avec le motif du miroir qui apparaît lui aussi dès la première scène. Comme Mia, on découvre le visage de Sebastian dans le reflet d’un rétroviseur. On peut voir dans ce regard amoureux celui, nostalgique, de Damien Chazelle vers le passé[2].

Ces jeux de lumière et de miroir sont importants dans la suite du film car ils permettent d’explorer et de préciser le paradoxe esquissé dans la scène d’ouverture. Pour rappel : c’est avec la scène que les artistes entretiennent la relation la plus intime. Mais celui-ci n’a pas la même signification pour Mia et Sebastian, car il éclaire un rapport à l’art différent pour l’actrice de cinéma et le musicien. Mia va de l’intime à la scène. Pour le dire simplement, elle puise dans son intimité ou son « vécu » – même si je conchie cette expression – de quoi nourrir son interprétation. Le geste artistique de Seb, au contraire, va de la scène à l’intime. L’improvisation est le vecteur d’une introspection.

Les trois scènes que je vais analyser obéissent à un même schéma. Elles commencent par l’extinction des lumières du décors et l’apparition d’un projecteur sur l’artiste.

MIA, DE L'INTIME A LA SCENE

La relation de Mia à la scène est exposée dans la première séquence de comédie musicale, sur la chanson Someone in the Crowd[3]. Elle s’ouvre et se clôt sur deux scènes très similaires : la chorégraphie dans sa colocation avant d’aller à une fête (tous les photogrammes commençant par « 1 »), puis le moment suspendu à la fin de cette même fête (les photogrammes commençant par « 2 »). Les deux scènes se font écho puisqu’elles sont construites exactement de la même manière. Une analyse en parallèle s’impose donc pour en saisir toutes les subtilités.

La scène de comédie musicale commence quand Mia ouvre le rideau de sa douche (1a). Toute l’ambivalence de la scène qui suit est contenue dans ce geste : il nous place dans le cadre très intime de la salle de bain, mais évoque en même temps l’ouverture d’un rideau de théâtre. Comme la scène d’ouverture jouait déjà avec ce motif (le rideau métallique de la camionnette), une nouvelle variation autour de cet objet attire naturellement l’attention du spectateur vers le thème du spectacle.

Logiquement, la deuxième scène s’ouvre sur une porte qui se ferme (2a), comme pour clore le morceau Someone in the Crowd. Mis à part ce geste, qui est une réponse au premier (1a), les deux scènes se suivent parfaitement.

Ensuite, la caméra pivote, suivant le mouvement de Mia qui se place face à un miroir (1b et 2b). C’est un truisme de dire que le miroir reflète l’identité ou la dualité d’un personnage[4]. Comme je l’expliquais, la lumière « réaliste »[5] du décor s’éteint et laisse place à un faisceau de lumière « artificiel » qui évoque un projecteur (1c et 2c). Par effet de contraste, le décor autour d’elle s’efface. Simultanément, la caméra s’approche du miroir et Mia se met à chanter.

Ces deux changements de mouvement et de lumière marquent le basculement entre les registres réaliste et onirique (ici, la partie chantée, de comédie musicale, comme dans la scène d’ouverture), c’est-à-dire entre l’intimité et le spectacle. Effectivement, le projecteur « met en lumière » Mia, donc lui fait symboliquement quitter ce lieu intime et la « projette » sur scène.

Ce basculement s’exprime de deux façons. Dans la scène de la colocation, on bascule littéralement de l’autre côté du miroir : quand sa colocataire ouvre la porte de la salle de bain, la caméra pivote, puis se tourne à nouveau vers Mia mais de l’autre côté, filmant son profil opposé. Ainsi on a un enchaînement : champ (1c), contre-champ (1d), et champ (1e).

Dans la scène de la soirée, en revanche, la caméra continue de s’approcher lentement du miroir jusqu’à ce que ses bords disparaissent. De cette façon, on plonge complètement dans son reflet, sa part d’ombre, sa conscience.

Le rapport à l’art de Mia, comme dans ces deux scènes, va donc de l’intime (son identité, sa personnalité, que sais-je encore) à la scène (la représentation, l’art). Pourtant, il n’est pas aussi simple que cela. Il est un peu paradoxal dans la mesure où la scène nous permet – en retour – de pénétrer dans son reflet, d’aller au plus profond de sa personnalité. D’autant plus que les scènes de comédie musicale, qui relèvent du fantasme, déroulent le fil de ses pensées. On reviendra à cette boucle en conclusion.

SEB, DE LA SCÈNE A L'INTIME

La relation de Seb à l’art fonctionne en sens inverse, comme on peut le voir dans la scène où il joue aux pianistes d’ambiance pour un restaurant à Noël (3). Cette fois-ci, ce n’est pas un passage de comédie musicale, mais un changement de style musical qui accompagne le basculement dans une autre sphère.

Sebastian joue les chants de Noël comme un sagouin, tapotant gauchement les touches de son piano, car il méprise cette musique d’ambiance (3a). La caméra se rapproche jusqu’à faire un plan serré sur ses doigts. Damien Chazelle insiste sur les gestes de Sebastian (3b). On voit dès lors que la démarche du musicien est différente. Son point de départ est la représentation, qui passe par le corps et les gestes.

Quand les doigts de Seb se font hésitants, s’adoucissent, puis changent complètement de style musical (3c), la mise en scène accompagne ce changement. La caméra qui avançait à droite modifie son mouvement et se met à tourner lentement autour des épaules de Ryan Gosling (3d, 3e, 3f). On passe de l’autre côté : on voit l’autre face de Sebastian (3f).

On change de plan - mais pas de scène - pour passer à un plan large (4a). Au même moment, les lumières s’éteignent (4b), et le faisceau d’un projecteur apparaît sur Seb (4c). On comprend alors que le mouvement circulaire de la caméra est l’équivalent du miroir de Mia, car Damien Chazelle nous a « programmé » pour qu’on l’associe au changement de lumière. On a déjà eu deux fois cet effet face à un vrai miroir, l’objet.

Et effectivement, la caméra s’approche à nouveau révélant des reflets : on voit Seb sur la paroi du bocal à pourboire (4d), et le vernis du piano reflète ses mains qui jouent très rapidement (4e). Une nouvelle fois, Damien Chazelle insiste sur l’importance des gestes du musicien. Ici, ils sont enlevés, virtuoses, légers car il improvise du free jazz, la musique qu’il aime au plus profond de son être.

On n’a donc pas la même démarche artistique pour Seb, ni la même lumière. Comme il était déjà en représentation, la lumière ne le projette pas sur scène. Au contraire, elle l’isole. Paradoxalement, le projecteur forme une bulle d’intimité, au sein de laquelle il joue en toute liberté. Ryan Gosling, dans son jeu d’acteur, montre aussi ce changement : il passe d’une représentation outrancière, grotesque (3a), à une attitude réservée, plongé dans ses pensées (3f). L’improvisation, qui s’exprime par les gestes et non par le verbe, lui permet de toucher du doigt les limites de son subconscient. D’ailleurs, lorsque les lumières se rallument, Seb semble sortir douloureusement d’un doux rêve.

CONCLUSION

Ces scènes montrent le rapport inversé entre le cinéma et la musique : l’un réfléchi, allant de l’intimité à la scène, l’autre spontané allant de la scène à l’intimité. Ce sont les deux pôles entre lesquels balancent les films de Damien Chazelle, à la fois truffés de références cinéphiles et comportant des scènes enlevées, désinvoltes, à la limite du clip musical.

Mais au-delà de ça, le plus important dans ces trois scènes est l’artificialité de la mise en scène. Quel que soit le sens de circulation entre l’intimité et le spectacle, le rêve et sa projection, cela montre à quel point la mécanique de l’inspiration et de l’expression artistique tourne à vide. Effectivement, la démarche artistique de Mia suit tout à fait celle qu’on a vue dans ces scènes : pour se faire connaître, elle monte une pièce de théâtre (ou un one woman show pour les plus fluent d’entre nous) sur sa propre vie, et le premier rôle qu’elle décroche au cinéma et qui la propulsera sur le devant de la scène est construit autour de sa personnalité. Mais en même temps, cette vie-là est entièrement tournée vers le cinéma et la célébrité, comme on peut le voir dans la décoration de sa chambre d’ado ou sa colocation. Ce n’est pas un cercle vicieux, mais un cercle vain : sa vie entière est consacrée au cinéma, mais elle ne raconte que sa vie.

Plusieurs critiques, notamment Fabrice Fuentes (la Septième Obsession N°10) et Jean-Sébastien Massart (la Septième Obsession N°11) notent la superficialité de Seb et Mia, voire du film dans son ensemble. Je les rejoins sur ce point, à la différence que je crois cela intentionnel. Le tour de magie de Damien Chazelle consiste à nous faire vivre le rêve Hollywoodien tout en n’y croyant plus lui-même.

L’autre pendant de cette superficialité vertigineuse est la relation amoureuse de Seb et Mia. Peut-être l’objet d’un futur article ?

La Chèvre

[1] Justin Hurwitz

[2] Fabrice Fuentes, dans la revue La Septième Obsession (N°10) parle de « rétroviseur de la cinéphilie ».

[3] Justin Hurwitz

[4] Certes, je simplifie à l’extrême car mon propos n’est pas là. Pour ceux que le motif du miroir intéresse, voici une excellente vidéo à ce sujet, dans l’émission Blow Up d’Arte :

[5] On pourrait dire : la lumière « intra-diégétique ».

 
 
 

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